Guillermo Rivera Moyano

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Emory Douglas

Graphiste de formation, Emory Douglas a dessiné les affiches et les bulletins des Black Panthers de 1967 à 1980. Evoquer son oeuvre sans aborder la lutte à laquelle elle se rattache relèverait donc de l’absurde. Nommé ministre de la culture du BPP (Black Panthers Party) par ses fondateurs Bobby Seale et Huey Newton, il se responsabilisera de la communication visuelle du parti par la prise en charge de son journal (TBP). Or, dans une société fortement illettrée, l’expression graphique revêt une importance capitale. Chargé de relayer les messages et l’idéologie des Black Panthers, Douglas créera et développera une iconographie simple et porteuse (« Il fallait que même un enfant puisse comprendre ») inspirée de l’imagerie révolutionnaire cubaine ou maoïste. Evidemment axé dans le combat émancipatoire des communautés afro-américaines, il s’approprie également tracés et motifs de l’art africain pour – symboliquement ou caricaturalement selon le thème, le bord ou le sujet abordé – définir et revendiquer les statuts sociétaux des années ’70.

Art révolutionnaire, tel qu’il le définit, le dessin d’Emory Douglas oeuvre certes pour la libération des Noirs américains en exhortant à la résistance (et non à l’attaque comme on tend à le laisser croire) contre les exactions racistes de la police ou des capitalistes, qu’ils soient blancs ou noirs, mais aussi pour l’éducation et la prise de position de populations délaissées, bafouées ou résignées. Il est important de noter que l’action des Black Panthers s’inscrit dans un contexte de durcissement des relations inter-raciales aux Etats-Unis. Face aux victoires et à la nouvelle importance du mouvement des droits civiques de Martin Luther King, une vague de violence réactionnaire de l’extrême droite éclate. Par souci de défense et de protection, les Black Panthers se forment et, dans un pays où le port en est autorisé, s’équipent en armes.

La symbolique de la panthère noire, animal qui n’attaque qu’en cas de menace, témoigne de l’esprit qui anime ce mouvement. Art révolutionnaire, nous l’avons dit, par son appel, incontestablement, mais aussi par sa forme. Emory Douglas, lecteur éclairé de sa décennie, saisit et s’approprie les mutations expressives du monde. En ces temps d’avènement des Mad Men, d’idolâtrie d’un Warhol ou de fourbe infiltration du petit écran dans les foyers, il capte l’importance de l’icône et du public qu’elle vise. Récupération des symboliques religieuses, littéraires et poétiques (animisme des animaux, tels que le porc et sa connotation musulmane, pour représenter des groupes à reconnaître ou convergence messianique des faisceaux vers le personnage que l’on sacralise, dans la tradition picturale catholique), considération de toutes les composantes (sexuelles et générationnelles) des cibles ou exploitation de la spécificité du média utilisé (insertion de posters dans le journal, affiches que l’on retrouve placardées sur les murs du quartier). Le ministre de la culture use des techniques communicationnelles les plus avancées et performantes pour éduquer, mettre en lumière et propulser la prise de position.

Visuel au service d’une cause, ses représentations transcrivent le quotidien des Afro-américains (éducation au rabais, chômage,…), les propositions que le parti amène (déjeuners pour les enfants, dispensaires de santé, programmes sociaux,…) ou simplement identifient l’ennemi à combattre. La place de la femme y est cruciale. Pièce maîtresse du foyer, face à l’incarcération massive des hommes et en tant qu’éducatrice des jeunes générations, elle se voit mobilisée et combattante sur les pancartes ou tracts imaginés par Douglas. Impactants, efficaces, les dessins d’Emory bouleversent la conscience américaine. En ses meilleurs jours, le journal se vendra à 400 000 exemplaires, constituant une source de revenus vitale pour les Panthers, et suscitera les plus grandes inquiétudes dans les castes privilégiées et opposées au parti (le FBI de J. Edgar Hoover tentera même de le boycotter). Certains journalistes, censurés dans leurs rédactions, soumettront leurs articles au tabloïd le plus libre et revendicateur de la modernité.

Réduire cependant le champs de réflexion et d’action des Black Panthers à la seule communauté afro-américaine servirait le dénigrement politico-médiatique déjà enduré. La dénonciation de la guerre du Vietnam, même si elle répond à une prise de conscience des Noirs américains sur l’idée que ce combat n’est pas le leur, dépasse largement la communauté en question. Nombre de vétérans, à leur retour et sans regard pour leurs ethnies respectives, rejoindront les files du mouvement pour ses prises de positions plus qu’universelles sur le sujet. L’imagerie d’Emory Douglas, d’inspiration transfrontalière, nous l’avons mentionné, séduira qui plus est, pléiade de peuples différents regroupés par l’idée d’oppression. En 1969, lors de la première Panafricaine culturelle tenue à Alger, les affiches du graphiste, invité pour l’occasion, provoqueront l’enthousiasme d’Algériens pourtant récemment libérés du joug colonial.

Figure majeure de l’iconographie politique moderne, Emory Douglas s’est vu oublié par la totalité des influencers et de l’inteligencia artistique, victime certainement de la campagne de diffamation menée à l’encontre des Black Panthers. Récemment mis à l’honneur  (en 2007 et 2009) par le MOCA de Los Angeles et le New Museum de New-York, cet immense artiste illustrateur mérite néanmoins hommage et lumière. Lumière qu’il a, affranchi de toute quête consumériste et ce malgré son savoir-faire publicitaire, infatigablement projetté sur les notions de respect, d’équité et de justice.